Les énergies marines renouvelables : état des lieux et perspectives

La mer, couvrant plus de 70% de la surface terrestre, constitue un immense réservoir énergétique encore sous-exploité. Les énergies marines renouvelables (EMR) représentent une voie prometteuse pour la transition énergétique mondiale. Exploitant les forces des vagues, des marées, des courants ou la différence de température entre les eaux de surface et les profondeurs, ces technologies diversifiées offrent un potentiel considérable. En 2023, bien que leur contribution au mix énergétique global reste modeste, les projets se multiplient sur tous les continents, portés par des avancées technologiques significatives et une volonté politique croissante de décarboner notre production d’énergie.

Panorama des différentes technologies d’énergies marines

Le domaine des énergies marines englobe plusieurs technologies distinctes, chacune exploitant un phénomène naturel spécifique de l’environnement océanique. L’énergie hydrolienne capture la force des courants marins ou fluviaux grâce à des turbines sous-marines. Cette technologie, relativement mature, fonctionne selon un principe similaire aux éoliennes, mais dans un milieu aquatique. Des projets notables comme le parc hydrolien du Raz Blanchard en France ou MeyGen en Écosse démontrent sa faisabilité à échelle industrielle.

L’énergie marémotrice, plus ancienne, utilise les mouvements des marées. L’usine de la Rance en Bretagne, opérationnelle depuis 1966, reste une référence mondiale avec ses 240 MW de capacité. Cette technologie, bien que fiable, nécessite des conditions géographiques spécifiques limitant son déploiement global.

L’énergie houlomotrice convertit l’énergie des vagues en électricité via divers systèmes mécaniques. Malgré un potentiel théorique immense, elle demeure au stade précommercial, confrontée à des défis de résistance aux conditions maritimes extrêmes. Des prototypes comme le Pelamis ou le Wave Dragon ont ouvert la voie à des concepts plus récents.

L’énergie thermique des mers (ETM) exploite la différence de température entre les eaux de surface et profondes dans les zones tropicales. Cette technologie convient particulièrement aux territoires insulaires comme la Polynésie française ou La Réunion, où des projets pilotes sont développés.

Enfin, l’énergie osmotique, basée sur la différence de salinité entre eau douce et eau de mer, reste largement expérimentale malgré un potentiel théorique intéressant. La Norvège a inauguré en 2009 le premier prototype mondial à Tofte.

État de développement et déploiement mondial

Le paysage actuel des EMR présente des contrastes marqués entre technologies et régions. L’éolien offshore, bien qu’il ne soit pas strictement une énergie marine au sens océanique, domine le secteur avec plus de 35 GW installés mondialement en 2022. La Chine, le Royaume-Uni et l’Allemagne mènent cette course, suivis par les Pays-Bas et le Danemark. L’innovation majeure concerne les éoliennes flottantes, permettant d’exploiter des zones maritimes plus profondes, comme le démontre le parc Hywind Scotland.

Pour les autres technologies marines, le déploiement reste plus limité. L’hydrolien compte environ 30 MW installés globalement, principalement au Royaume-Uni, en France et au Canada. Le projet MeyGen dans le détroit de Pentland représente la plus grande ferme hydrolienne opérationnelle avec ses 6 MW.

L’énergie houlomotrice affiche une capacité mondiale inférieure à 10 MW, avec des installations pilotes au Portugal (centrale de Pico), en Australie et en Écosse. Malgré son potentiel théorique considérable, cette filière peine à surmonter les défis techniques et économiques.

La répartition géographique du développement des EMR reflète à la fois les conditions naturelles favorables et les politiques énergétiques nationales ambitieuses. L’Europe maintient une position de leader, particulièrement dans la recherche et développement, avec des pays comme la France, l’Irlande et le Portugal investissant massivement dans ces technologies. En Asie, la Chine, le Japon et la Corée du Sud développent activement leurs capacités, tandis que l’Australie et le Canada progressent régulièrement.

  • Capacité mondiale d’éolien offshore : >35 GW (2022)
  • Capacité mondiale d’hydrolien : ~30 MW
  • Capacité mondiale houlomotrice : <10 MW
  • Principaux marchés : Europe du Nord, Chine, Japon

Défis techniques et environnementaux

Le déploiement à grande échelle des énergies marines se heurte à plusieurs obstacles majeurs. La résistance aux conditions extrêmes constitue un défi primordial : les dispositifs doivent supporter tempêtes, corrosion saline et forces mécaniques considérables. Les matériaux traditionnels se dégradent rapidement dans ces environnements hostiles, nécessitant l’utilisation d’alliages spéciaux et de revêtements anti-corrosion, ce qui augmente significativement les coûts de fabrication et maintenance.

Raccordement et transport d’électricité

Le raccordement au réseau électrique terrestre pose des difficultés techniques complexes. Les câbles sous-marins, souvent longs de plusieurs dizaines de kilomètres, doivent traverser des zones aux conditions géologiques variables. La société RTE en France estime qu’un kilomètre de câble sous-marin coûte entre 1 et 3 millions d’euros selon la profondeur et la nature des fonds marins. La question du stockage de l’énergie produite représente un autre obstacle, les technologies actuelles comme les batteries à flux ou l’hydrogène restant coûteuses pour des applications marines.

Impacts environnementaux

L’insertion dans l’écosystème marin soulève des préoccupations légitimes. Les impacts potentiels incluent la modification des habitats benthiques, les perturbations acoustiques affectant les mammifères marins, les risques de collision pour certaines espèces, et l’effet barrière pour les migrations. Des études menées autour du parc hydrolien de Paimpol-Bréhat ont révélé des perturbations temporaires pendant la phase d’installation, suivies d’une adaptation progressive de la faune locale.

Paradoxalement, certaines installations peuvent créer un effet récif bénéfique, offrant de nouveaux habitats à diverses espèces marines. Cette ambivalence écologique nécessite des évaluations au cas par cas et un suivi rigoureux. Les développeurs comme Naval Energies ou Sabella intègrent désormais des considérations environnementales dès la conception de leurs dispositifs.

La conciliation des usages maritimes représente une autre dimension du défi : pêche professionnelle, transport maritime, tourisme côtier et activités militaires doivent coexister avec ces nouvelles infrastructures énergétiques. Cette nécessité de partage de l’espace maritime impose une planification spatiale rigoureuse et une concertation approfondie avec tous les acteurs concernés.

Aspects économiques et modèles de financement

La viabilité économique constitue l’un des principaux freins au déploiement massif des EMR. Le coût actualisé de l’énergie (LCOE) varie considérablement selon les technologies : si l’éolien offshore posé affiche désormais des tarifs compétitifs autour de 50-70€/MWh dans certaines régions, les autres technologies marines présentent des coûts nettement supérieurs. L’hydrolien se situe entre 150 et 300€/MWh, tandis que le houlomoteur peut dépasser 400€/MWh, rendant ces filières encore dépendantes des mécanismes de soutien public.

Les investissements initiaux représentent une part prépondérante des coûts totaux, avec des ratios CAPEX/OPEX particulièrement élevés. Un parc hydrolien de 10 MW nécessite typiquement un investissement de 30 à 50 millions d’euros, excluant les coûts de raccordement. Cette structure de coûts favorise les grands groupes industriels comme EDF Renouvelables, Engie ou Iberdrola, capables de mobiliser des capitaux conséquents.

Différents mécanismes de soutien ont été mis en place par les gouvernements pour stimuler le secteur. Les tarifs d’achat garantis (feed-in tariffs) ont joué un rôle pionnier, notamment au Royaume-Uni avec le Marine Energy Array Demonstrator (MEAD). Plus récemment, les appels d’offres avec complément de rémunération gagnent en popularité, comme l’illustre le cas français avec les projets éoliens offshore de Saint-Nazaire et Fécamp.

Le financement de projets EMR s’appuie sur des montages complexes associant généralement:

  • Fonds propres des développeurs (20-30%)
  • Prêts bancaires (50-60%)
  • Subventions publiques (10-20%)
  • Fonds d’investissement spécialisés

Des instruments financiers innovants émergent pour répondre aux spécificités du secteur. Les obligations vertes (green bonds) permettent de lever des capitaux dédiés aux projets environnementaux. En 2021, la Banque Européenne d’Investissement a émis 1,5 milliard d’euros d’obligations climatiques dont une partie finance des projets EMR. Le crowdfunding représente une alternative complémentaire, particulièrement adaptée aux projets de taille modeste ou aux phases de R&D, comme l’a démontré l’entreprise Eolink pour son prototype d’éolienne flottante.

L’horizon 2050 : vers une exploitation à grande échelle

Les projections pour les énergies marines dessinent un avenir prometteur malgré les obstacles actuels. Selon l’Agence Internationale de l’Énergie (AIE), les EMR pourraient fournir jusqu’à 300 GW de capacité installée d’ici 2050, contribuant significativement à la décarbonation du mix énergétique mondial. Cette montée en puissance s’appuiera sur plusieurs facteurs convergents.

Les avancées technologiques constituent le premier moteur de cette transformation. La miniaturisation des composants, l’utilisation de matériaux composites avancés et l’optimisation des systèmes de conversion énergétique permettront d’améliorer les rendements tout en réduisant les coûts. Des innovations comme les hydroliennes à membrane ondulante développées par la startup EEL Energy ou les systèmes houlomoteurs multi-corps de CorPower Ocean illustrent cette dynamique d’innovation.

La numérisation des infrastructures énergétiques marines représente un autre vecteur de progrès. L’intégration de capteurs connectés, l’analyse prédictive et la maintenance assistée par intelligence artificielle réduiront considérablement les coûts d’exploitation. Le concept de jumeaux numériques permet déjà d’optimiser la conception et l’exploitation des parcs, comme le démontre le projet ELEMENT financé par l’Union Européenne.

La mutualisation des infrastructures offre des perspectives intéressantes pour améliorer la rentabilité globale. Les concepts de plateformes multi-usages, combinant production d’énergie, aquaculture et autres activités maritimes, gagnent en crédibilité. Le projet TROPOS, soutenu par le programme Horizon Europe, explore ces synergies à travers plusieurs démonstrateurs en Méditerranée et Atlantique Nord.

Sur le plan géopolitique, les EMR pourraient redessiner la carte énergétique mondiale, offrant une opportunité de souveraineté énergétique à des pays côtiers jusqu’alors dépendants d’importations. Des nations insulaires comme l’Irlande, le Japon ou Taiwan investissent massivement dans ces technologies pour réduire leur dépendance aux combustibles fossiles importés.

Le développement des EMR s’inscrit dans une vision plus large de planification spatiale maritime intégrée. Les futurs parcs énergétiques marins seront conçus comme des composantes d’écosystèmes complexes, où cohabiteront production énergétique, conservation de la biodiversité et activités économiques traditionnelles. Cette approche holistique, déjà adoptée par des pays comme les Pays-Bas ou le Danemark, deviendra probablement la norme mondiale d’ici 2050.